Sur l’air de la liberté, Chansons de résistantes dans les prisons nazies

09. La Santé

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09. La Santé

Chanson originale Chanson détournée
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Partition


« Le bon roi Dagobert », partition pour chant et piano, dans Jean-Baptiste Weckerlin, Chansons et rondes enfantines avec notices et accompagnement de piano, Paris, Garnier Frères, 1870, p. 47-49.

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Disque


Le roi Dagobert, Mad Rainvyl (chant), 1 disque 78 tours, Pygmo-Plume, n° 208, 1931.

macaron du disque

Septembre 1941, prison de La Santé

Ce cas s’inspire de la célèbre chanson de tradition orale Le bon roi Dagobert, qui remonte à la seconde moitié du XVIIIe siècle. Selon les chercheurs Jean-Claude Klein, Martine David et Anne-Marie Delrieu (entre autres), sa mélodie se fonde sur la sonnerie de chasse Fanfare du cerf. La chanson met en scène un très inepte Dagobert 1er (roi des Francs né v. 602/605, mort v. 638/639) et l’un de ses principaux conseillers, saint Éloi, qui par ses observations perspicaces et ses formulations habiles réussit toujours à le tirer d’affaire. Or, cette chanson datant de la période prérévolutionnaire utilise en réalité la figure historique du roi mérovingien pour se moquer de l’autorité royale en général et du roi Louis XVI en particulier, tout en échappant à la censure. Au gré des événements, de très nombreux couplets décrivant les travers du roi Dagobert/Louis XVI ont été ajoutés; c’est ce qui explique la grande variété de versions que l’on peut trouver du Bon roi Dagobert, dont la recréation romanesque de Charles Péguy est le prolongement littéraire.

La partition sur laquelle se base la transcription des paroles proposée ici provient du volume Rondes et chansons enfantines (Garnier Frères, 1870) rassemblé par le compositeur, bibliothécaire et musicographe français Jean-Baptiste Weckerlin (1821-1910) et illustré de chromotypographies du peintre français Henri Pille (1844-1897). L’enregistrement que nous reprenons est quant à lui tiré de la collection de disques illustrés produits par l’étiquette allemande Pygmo-Plume, qui a publié de nombreux microsillons en France, parmi lesquels figuraient une proportion importante de musique destinée aux enfants. La chanson est interprétée par la chanteuse française de music-hall Mad Rainvyl (pseudonyme de Madeleine Suzanne Raige, 1886-1953), qui était l’interprète exclusive de cette série de disques pour enfants.

Dans leur version détournée, Yvonne Oddon et ses camarades transforment Le bon roi Dagobert en une fausse réclame publicitaire pour la prison de la Santé, décrivant sur un ton ironique la fabuleuse vie qu’on y mène (et ce, pour une durée possiblement infinie : « On peut y rester / Pour l’éternité / […] venez vite, on vous attend! »). D’une longueur considérable, la chanson modifiée compte six couplets et respecte parfaitement la prosodie de la mélodie originale, ce qui rend ses effets humoristiques encore plus efficaces. Notons le féminisme de cette chanson détournée qui, pendant une strophe complète, rapproche les conséquences de l’Occupation et les motivations du patriarcat (« Vot’ mari […] / Prendra ses ébats / Bénissant la Santé / D’veiller sur vot’ fidélité »).

[Sources : références 38, 55, 61, 93, 128 dans la bibliographie]

Transcription comparée

Le bon roi Dagobert

(tradition orale)

 

 

Le bon roi Dagobert,

Avait sa culotte à l’envers!

Le grand Saint Éloi

Lui dit : ô mon Roi!

Votre Majesté

Est mal culotté…

« C’est vrai, lui dit le roi,

Je vais la remettre à l’endroit. »

 

 

Le bon roi Dagobert

Fut mettre son bel habit vert :

Le grand Saint Éloi

Lui dit : ô mon roi!

Votre habit paré

Au coude est percé.

« C’est vrai, lui dit le roi,

Le tien est bon, prête-le-moi. »

 

 

Du bon roi Dagobert

Les bas étaient rongés des vers;

Le grand Saint Éloi

Lui dit : ô mon roi!

Vos deux bas cadets

Font voir vos mollets.

« C’est vrai, lui dit le roi,

Les tiens sont neufs, donne-les-moi. »

 

 

Le bon roi Dagobert

Faisait peu sa barbe en hiver;

Le grand Saint Éloi

Lui dit : ô mon roi!

Il faut du savon

Pour votre menton.

« C’est vrai, lui dit le roi,

As-tu deux sous? prête-les-moi. »

 

 

Du bon roi Dagobert

La perruque était de travers;

Le grand Saint Éloi

Lui dit : ô mon roi!

Votre perruquier

Vous a mal coiffé.

« C’est vrai, lui dit le roi,

Je prends ta tignasse pour moi. »

 

 

Le bon roi Dagobert

Chassait dans la plaine d’Anvers;

Le grand Saint Éloi

Lui dit : ô mon roi!

Votre Majesté

Est bien essoufflé.

« C’est vrai, lui dit le roi,

Un lapin courait après moi. »

 

 

Le bon roi Dagobert

Avait un grand sabre de fer;

Le grand Saint Éloi

Lui dit : ô mon roi!

Votre Majesté

Pourrait se blesser.

« C’est vrai, lui dit le roi,

Qu’on me donne un sabre de bois. »

 

 

Le bon roi Dagobert

Se battait à tort, à travers;

Le grand Saint Éloi

Lui dit : ô mon roi!

Votre Majesté

Se fera tuer.

« C’est vrai, lui dit le roi,

Mets-toi bien vite devant moi. »

 

 

Le bon roi Dagobert

Voulait conquérir l’univers;

Le grand Saint Éloi

Lui dit : ô mon roi!

Voyager si loin Donne du tintoin.

« C’est vrai, lui dit le roi,

Il vaudrait mieux rester chez soi. »

 

 

Le roi faisait la guerr’,

Mais il la faisait en hiver;

Le grand Saint Éloi

Lui dit : ô mon roi!

Votre Majesté

Se fera geler.

« C’est vrai, lui dit le roi,

Je m’en vais retourner chez moi. »

 

 

Le bon roi Dagobert

Voulait s’embarquer sur la mer;

Le grand Saint Éloi

Lui dit : ô mon roi!

Votre Majesté

Se fera noyer.

« C’est vrai, lui dit le roi,

On pourrait crier : le roi boit! »

 

 

Le bon roi Dagobert

Mangeait en glouton du dessert;

Le grand Saint Éloi

Lui dit : ô mon roi!

Vous êtes gourmand,

Ne mangez pas tant.

« Bah, bah, lui dit le roi,

Je ne le suis pas tant que toi. »

 

 

Quand Dagobert mourut

Le diable aussitôt accourut.

Le grand Saint Éloi

Lui dit : ô mon roi!

Satan va passer,

Faut vous confesser.

« Hélas ! dit le bon roi,

Ne pourrais-tu mourir pour moi? »

La Santé

(ms p. 6)

 

1

L’hiver comme l’été

Le vrai bonheur, c’est la Santé,

Mesdam’ faites comme moi

Vous verrez ma foi

Qu’c’est à la Santé

Qu’il faut s’arrêter;

Seul’ment je vous préviens :

Lorsqu’on s’y arrête, on s’y tient!

 

2

Vous y serez nourries

De bouts d’saucisse et de pain gris,

Mais ça vaut bien mieux

Que de faire la queue

(Mesdam’ c’que j’en dis

C’est pour votr’ profit)

Et puis c’est un danger

Que d’passer sa vie à manger!

 

3

Vous y serez logées

Sans avoir de terme à payer;

Le dernier confort

N’y est pas encor

Y a pour tout bazar

La cruche et l’plumard

Mais c’est chic, ça fait sport,

Et c’est mieux que d’coucher dehors…

 

4

On y respire un peu

Le Numéro 100 d’Molyneux,

De mauvais esprits

N’en sont pas ravis

Et pourtant, mes sœurs,

Ça porte bonheur

Quell’ touchante attention

D’la part de l’Administration!

 

5

Vous n’y f’rez pas cocu

Vot’ mari, si vous êtes pourvue,

Ça vaudra bien mieux

Pour l’pauvre malheureux

Qui pendant c’temps là

Prendra ses ébats

Bénissant la Santé

D’veiller sur vot’ fidélité…

 

6

Une cure, en général,

Ça dure 3 semaines, et c’est banal,

Mais à la Santé

Faut pas s’inquiéter

On peut y rester

Pour l’éternité,

Fait’ donc votr’ testament

Et venez vite, on vous attend!

Manuscrit


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Recréation


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