Sur l’air de la liberté, Chansons de résistantes dans les prisons nazies

04. La prison militaire

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04. La prison militaire

Chanson originale Chanson détournée
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Partition


« Le pou et l’araignée », partition pour chant seul, dans Marcel Prangey, Chansons de salles de garde, Amsterdam, Éditions du Scorpion, 1931, p. 145-150.

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Disque


Le pou et l’araignée, chanson de salle de garde, chant et chœurs, 1 disque 78 tours, Esculape, ES 7, v. 1935.

macaron du disque

1941, prison du Cherche-Midi

La prison militaire trouve sa source dans une chanson de salle de garde intitulée Le pou et l’araignée. Aussi appelé « chanson de carabins », ce genre musical produit par et pour des étudiants en médecine appartient à la tradition orale et se caractérise par la grivoiserie (souvent très crue) de son sujet. On attribue parfois deux auteurs à cette chanson non signée : Hector Berlioz pour la musique et Alfred de Musset pour le texte. Si ces affirmations non vérifiables peuvent faire sourciller, elles s’appuient cependant sur certains faits concrets : Berlioz, qui a fait des études de médecine, ne dédaignait pas les farces musicales; et Musset, qui était un alcoolique notoire, était amateur d’événements bien arrosés où il était courant d’entonner des chansons de salle de garde. À défaut d’en avoir des preuves concrètes, il est permis de supposer que les étudiants qui ont contribué à la dissémination de cette chanson ont choisi d’en attribuer la paternité à ces grands noms de la culture française pour renforcer, de manière ironique, son caractère irrévérencieux. L’enregistrement présenté ici, qui date probablement de 1935, provient d’un disque sous étiquette Esculape (du nom du dieu gréco-romain de la médecine), une marque déposée en novembre 1934. Comme le disque ne mentionne pas le nom des interprètes, il est fort possible qu’il s’agissait en fait d’amateurs – probablement des étudiants en médecine, des internes ou des médecins, comme le veut la tradition.

Les couplets de la chanson Le pou et l’araignée racontent en des termes passablement licencieux l’histoire tragique d’une jeune araignée qui se suicide après avoir été séduite et engrossée par un pou, puis reniée par son père. La chanson décrit ensuite le chagrin que cause cette mort au pou, lequel en vient à mettre fin à ses jours par une méthode de suicide inusitée, et se conclut par l’enterrement solennel du pou. Le refrain, construit en trois parties, vient briser la trame narrative par un long assortiment d’expressions mêlant des thèmes religieux, sexuels et scatologiques.

Dans sa version détournée intitulée La prison militaire, la chanson se moque ouvertement des gardiens (« Ces espèces de p’tits morveux / Qu’on appelle des “22” »), et décrit sur un ton faussement grivois la « passion » qui se trouve au centre des relations entre les prisonnières – une passion qualifiée de « bromurée », en référence à la rumeur selon laquelle les autorités ajoutaient dans la nourriture des prisonnières un produit chimique (souvent appelé bromure) afin de les calmer. La version d’Oddon et ses camarades reprend la mélodie complète des couplets originaux (en cinq occurrences plutôt que huit), et seulement la première partie du refrain (« Tu m’la tu m’fais suer / Tu nous embêtes ! » remplaçant « Tu m’la, tu m’fais chier, / Tu nous emmerdes »). En marge de ces quelques vers du refrain de la chanson notée par Oddon, cette dernière a inscrit « Voyez comme nous étions polies… » – un commentaire paratextuel laissant entendre que les résistantes, même dans les prisons, préféraient une version édulcorée à l’originale gaudriole. Dans notre transcription comparée, nous avons fait le choix de ne pas retranscrire cette inscription, qui ne fait pas partie des paroles, afin d’éviter toute confusion.

[Sources : références 23, 55, 59, 109, 113 dans la bibliographie]

Transcription comparée

Le pou et l’araignée

(tradition orale)

 

1

Un jour, un pou dans la rue

Rencontra, chemin faisant, chemin faisant,

Une araignée bonne enfant.

Elle était toute velue

Et vendait du verr’ pilé

Pour s’ach’ter des p’tits souliers.

 

Refrain

Tu m’la, tu m’emmerdes,

Tu m’la, tu m’fais chier,

Tu nous emmerdes,

Tu nous fais chier,

Tu nous fais chier,

Tu nous emmerdes!

Et l’on entend, sous les ormeaux

Battre la merde à coups d’marteaux.

Et l’on entend, sous les plumards,

Battre le foutre à coups d’braqu’marts.

Non, non, non, non, Saint Éloi n’est pas mort!

Car il bande encore! (bis)

 

2

Le pou qui voulait la séduire,

L’emm’na chez l’matroquet du coin, troquet du coin.

Lui fit boir’ cinq, six coups d’vin.

L’araignée ne fit qu’en rire,

La pauvrett’ ne s’doutait pas

Qu’elle courait à son trépas!

 

Refrain

 

 

3

Le pou lui offrit une prise

En lui disant d’un air joyeux, d’un air joyeux :

– « Coll’ toi ça dans l’trou des yeux

Et mouch’toi avec ta ch’mise! »

L’araignée qu’en avait pas

Lui fit voir tous ses appâts.

 

Refrain

 

 

 

 

 

 

 

4

Le pou qui n’était qu’un’ canaille,

Lui offrit trois francs et six sous, trois francs, six sous.

– « Trois francs six sous, c’est pas l’Pérou,

« Va! tu n’es qu’un rien qui vaille!

« Si tu m’donn’s quatre sous d’plus,

« J’te f’rai voir l’trou d’mon cul! »

 

Refrain

 

 

5

Alors commencèr’nt les horreurs,

Le pou monta sur l’araignée, sur l’araignée,

Il éprouvait tant d’bonheur

Qu’il n’pouvait plus se r’tirer,

Si bien qu’la pauvre araignée

Écop’ la maternité!

 

Refrain

 

6

Le pèr’ d’l’araignée en colère,

Lui dit : – « Tu m’as déshonoré,

Déshonoré,

« Tu t’as laissée enceintrer

« T’es aussi putain qu’ta mèr! »

L’araignée, de désespoir,

S’a foutu treiz’ coups d’rasoir!

 

Refrain

 

7

Le pou, ayant perdu sa femme,

S’arrach’ des touffes de cheveux,

Fes de cheveux,

Et il s’écrie : – « Nom de Dieux! »

Mont’ sur les tours d’Notre-Dame,

Et c’est là qu’il s’a foutu

Les cinq doigts et l’pouc’ dans l’cul!

 

Refrain

 

8

Alors, les poux du voisinage

Se réunir’nt pour l’enterrer,

Pour l’enterrer

Au cim’tièr’ de Champerret,

Tout comme un grand personnage.

Et c’était bien triste à voir

Tous ces poux en habit noir! –

 

La prison militaire

(ms p. 3)

 

1

C’était une prison militaire

Où y avait des tas d’prisonniers, tas d’prisonniers,

Et pour les accompagner

Y avait des tas d’prisonnières

Qui pour chasser leur ennui

Chantaient le jour et la nuit :

 

[Refrain]

Tu m’la tu m’la tu m’la (bis)

Tu m’la tu m’fais suer

Tu nous embêtes!              

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2

Dès que les portes sont fermées

Reprennent les conversations, conversations,

On s’embrasse avec passion

(Une passion bromurée!)

Et à travers murs et cours

Ce n’est plus qu’un cri d’amour :

 

[Refrain]

Tu m’la tu m’la… etc.

 

3

D’être bouclés dans une cellule

Et doublement cadenassés, cadenassés,

C’était pourtant bien assez

Sans ces gardiens ridicules

Ces espèc’ de p’tits morveux

Qu’on appelle des « 22 »!

 

[Refrain]

Tu m’la tu m’la… etc.

 

 

 

 

 

 

4

Yen a qui sont vraiment des rosses

Et qui prennent plaisir à gueuler, zir à gueuler,

Agitant leur trousseau d’clefs

Pour s’donner un air féroce,

Mais ils ne nous font pas peur

Et nous leur chantons en chœur :

 

[Refrain]

Tu m’la tu m’la… etc.

 

5

Yen a qui sont pleins d’innocence

Et qui vienn’ nous fair’ les yeux doux, fair’ les yeux doux,

Et mett’ leur nez dans les trous

Honni soit qui mal y pense,

Ce sont les jeunes champions

De la collaboration… [Refrain] Tu m’la tu m’la… etc.

Manuscrit


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Recréation


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