Sur l’air de la liberté, Chansons de résistantes dans les prisons nazies

03. Petit chéri

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03. Petit chéri

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Partition
ancienne


P.A.


Partition
moderne


P.M.


« La mère Michel », partition pour chant et piano, dans Vieilles chansons et rondes pour les petits enfants avec accompagnements de Ch. M. Widor, Paris, Plon-Nourrit et Cie, [v. 1910], p. 45.

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La mère Michel, chanson de tradition orale harmonisée par Francis Salabert, Paris, Salabert, E.A.S. 14317bis, 1945.

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Disque
ancien


D.A.


Disque
moderne


D.M.


La mère Michel, Éva Gauthier (chant), 1 disque 78 tours, Camden (NJ), Victor’s Talking Machine, Co., 72165-B, 1919.

macaron du disque

La mère Michel, Mad Rainvyl (chant), 1 disque 78 tours, Pygmo-Plume, n° 204, 1930.

macaron du disque moderne

1941, prison du Cherche-Midi

Fondé sur la célèbre chanson de tradition orale La mère Michel, cet air constitue un cas remarquablement complexe. Il existe en effet deux versions distinctes de la chanson source, d’où le dédoublement de plusieurs onglets (et les trois colonnes de la transcription comparée) dans la présente page de notre exposition virtuelle.

D’abord chantée dans le mode mineur sur une mélodie principalement conjointe, La mère Michel est aujourd’hui connue avec une mélodie en majeur, caractérisée par des sauts de quarte et de quinte. La transition entre les deux versions semble s’être effectuée aux alentours des années 1920-1930, justement à l’époque où Yvonne Oddon et ses compagnes ont pu prendre connaissance des chansons qu’elles ont ensuite reprises de mémoire pendant leur incarcération; il est donc difficile de déterminer avec certitude laquelle des deux mélodies est à la base de la version détournée documentée ici.

La version ancienne de La mère Michel, qui remonte probablement au XVIIIe siècle, est elle-même une chanson sur timbre, c’est-à-dire un air préexistant sur lequel on a apposé de nouvelles paroles. Plusieurs autres chansons utilisent la même mélodie, telles que Grand Duc de Savoie, à quoi penses-tu? et Malgré la bataille.

Quant à la version moderne encore connue aujourd’hui, elle a également été reprise avec d’autres textes, comme on peut le constater dans la version canadienne de l’ouvrage Le livre de musique de Claude Augé, où la mélodie accompagne un texte inspiré de la fable de La Fontaine Le renard et le corbeau (p. 71). On peut également l’entendre dans la chanson belge Saint-Nicolas, patron des écoliers. Outre le changement mélodique, la chanson connue aujourd’hui diffère de sa version plus ancienne par l’ajout du refrain « sur l’air du tra la la » qui est lui-même un emprunt, ainsi qu’en témoigne sa présence seule dans des recueils de chansons de salle de garde comme l’Anthologie hospitalière et latinesque dans laquelle la chanson « Sur l’air du tra la la » apparaît deux fois, dont l’une sous le titre « Tchot Ite », une chanson picarde sur le même air.

L’histoire de La mère Michel est donc un procédé d’emboîtements successifs de chansons sur timbre à l’image de poupées gigognes, dont la reprise par Yvonne Oddon et ses codétenues ne constitue qu’un chapitre supplémentaire. 

Hormis l’ajout du refrain dans la version moderne, le texte reste sensiblement le même d’une mélodie à l’autre. Il raconte l’histoire de la mère Michel qui a perdu son chat et du Compère Lustucru, rôtisseur de son métier, qui décide de l’apprêter comme un lapin – cruauté dont témoigne fréquemment l’iconographie accompagnant la chanson. L’humour très noir dont fait preuve la version détournée notée par Oddon prend ici tout son sens : l’idée de cuisiner le chat que pleure une détenue récemment arrivée est en effet directement inspirée du texte original. Dans la version détournée, l’interlocuteur n’est plus le compère Lustucru, mais l’un des gardiens de prison (le signal « vingt-deux » prévenait de leur arrivée dans l’argot des détenues de France); la méchanceté du personnage se transfère aisément du texte original à sa modification.

S’il demeure difficile de déterminer sans aucun doute quelle version Oddon avait à l’oreille en évoquant « l’air [de] La mère Michel », la présence du refrain « sur l’air du tra la la » dans son manuscrit pointe en direction de la mélodie moderne en majeur. Ajoutons à cela que la chanson La mère Michel avait déjà été reprise au début de l’Occupation par l’auteur et illustrateur Maurice Van Moppès, dans le cadre de l’émission Les Français parlent aux Français sur les ondes de la BBC. Diffusées sous la forme de couplets isolés dans pas moins de cinq émissions distinctes entre novembre 1940 et avril 1941, les différentes versions de Van Moppès se moquent assidûment des malheurs du « père Musso », c’est-à-dire bien entendu Benito Mussolini. La partition de la chanson détournée parachutée en sol français par la Royal Air Force vers 1943 (avant d’être formellement publiée en 1944) reprend la mélodie en majeur, ce qui indique que la version moderne de La mère Michel circulait bel et bien à l’époque. Étant donné les recoupements entre les sources musicales des chansons modifiées par les détenues et sur les ondes de Radio-Londres (voir également Moi j’en ai marre et Hitler), on peut supposer que les prisonnières chantaient probablement la version moderne de La mère Michel, telle qu’entendue de façon récurrente à l’émission Les Français parlent aux Français.

La possibilité qu’Oddon et ses codétenues aient chanté la version ancienne de La mère Michel ne pouvant être entièrement écartée, nous proposons ici deux possibilités de reconstitution musicale, qui demeurent toutes deux le plus près possible du texte noté par Oddon. En plus de la version de la mélodie encore connue aujourd’hui (et dont l’application au texte détourné par Oddon et ses codétenues ne pose aucun problème), nous présentons une version hybride combinant la mélodie ancienne en mineur avec le refrain « sur l’air du tra la la » en majeur. Si une telle interprétation ne correspond à aucune des versions de La mère Michel qui sont parvenues jusqu’à nous, elle permet néanmoins de reprendre la totalité du texte d’Oddon tout en explorant la possibilité d’une remémoration hybride de la chanson.

Si La mère Michel a connu une circulation essentiellement orale, plusieurs partitions (en particulier de la version mineure) ont été publiées. La version moderne est beaucoup plus fréquemment gravée sur disque que l’ancienne, qui a surtout circulé avant l’avènement massif des moyens technologiques de reproduction sonore. L’enregistrement de la version ancienne inclus ici a été publié en 1919 par la cantatrice canadienne Éva Gauthier (1885-1958), sur la base d’un recueil de chansons françaises de tradition orale paru aux États-Unis en 1916 – témoignages d’une vaste circulation géographique de la chanson. Notons du reste qu’Yvonne Oddon s’est en partie formée aux États-Unis dans les années 1920 et qu’Éva Gauthier est allée à Paris au début de sa carrière (1902-1905), tandis que la sœur de cette dernière, l’ethnomusicologue Juliette Gaultier de la Vérendrye, a prononcé une conférence sur la musique folklorique canadienne au Musée de l’Homme en juillet 1938, alors qu’Oddon y travaillait déjà. Bien qu’indirects, les points de contact sont donc nombreux, et semblent converger dans cette manifestation de l’intérêt précoce des membres du Musée de l’Homme pour la musique.

[Sources : références 8, 23, 27, 36, 74, 97, 122, 123, 124, 126 dans la bibliographie]

Transcription comparée

La mère Michel

Version ancienne

(tradition orale)

 

 

C’est la mèr’ Michel qui a perdu son chat,

Qui cri’ par la f’nêtre à qui le lui rendra.

Et l’compèr’ Lustucru

Qui lui a répondu :

Allez, la mèr’ Michel, vot’ chat n’est pas perdu.

 

 

 

 

 

 

 

C’est la mèr’ Michel qui lui a demandé :

Mon chat n’est pas perdu! vous l’avez donc trouvé?

Et l’compèr’ Lustucru qui lui a répondu :

Donnez un’ récompense, il vous sera rendu.

 

 

 

 

 

 

 

 

Et la mèr’ Michel lui dit : C’est décidé,

Si vous rendez mon chat, vous aurez un baiser.

Le compèr’ Lustucru,

Qui n’en a pas voulu,

Lui dit : Pour un lapin votre chat est vendu.

La mère Michel

Version moderne

(tradition orale)

 

PREMIER COUPLET

C’est la mèr’ Michel qui a perdu son chat,

Qui d’mand’ par la fenêtre qui le lui rendra,

Le compèr’ Lustucru

Lui a répondu :

« Allez, la mèr’ Michel, vot’ chat n’est pas perdu! »

 

Sur l’air du tra la, la la,

Sur l’air du tra la la la,

Sur l’air du tra de ri de ra,

Et tra la la !

 

DEUXIÈME COUPLET

C’est la Mèr’ Michel qui lui a demandé :

Mon chat n’est pas perdu, vous l’avez donc trouvé?

Le Compèr’ Lustucru

Lui a répondu :

Donnez un’ récompense, il vous sera rendu!

 

Sur l’air du tra la, la la,

Sur l’air du tra la la la,

Sur l’air du tra de ri de ra,

Et tra la la!

 

TROISIÈME COUPLET

Et la Mèr’ Michel a dit : « c’est décidé!

Rapportez-moi mon chat, vous aurez un baiser. »

Le Compèr’ Lustucru,

Qui n’a pas voulu,

Lui dit : « Pour un lapin votre chat est vendu! »

 

Sur l’air du tra la, la la,

Sur l’air du tra la la la,

Sur l’air du tra de ri de ra,

Et tra la la!

Petit chéri

(ms p. 2)

 

 

 

C’est Madam’ Marion qui a perdu son chat

Et pleur’ en sa cellule à qui le lui rendra

Pauvre « Petit-Chéri »

Si tu étais ici

Tu serais le chou-chou de tout l’Cherche-Midi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais Madam’ Marion n’avait plus de saindoux

N’avait plus de saucisse, n’avait plus rien du tout!

Elle appela « 22 »

Qui dit : « séchez vos yeux

Voici votre matou pour faire un pot-au-feu! [»]

 

Sur l’air du Tra-la-lala…

Manuscrit


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Recréation


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