Georges Arnould et Albert Willemetz (paroles), Maurice Yvain (musique), J’en ai marre, fox-trot, partition pour chant et piano, Paris, Salabert, E.A.S.2012, 1921.
Georges Arnould et Albert Willemetz (paroles), Maurice Yvain (musique), J’en ai marre, Mistinguett (chant), 1 disque 78 tours, Pathé, n°4052, 1921.
1941, prison du Cherche-Midi
J’en ai marre, la chanson ayant inspiré cette reprise d’Oddon, a été écrite par Georges Arnould et Albert Willemetz et mise en musique par Maurice Yvain. Elle a été créée en 1921 par Mistinguett, grande figure du music-hall français. La chanson raconte du point de vue d’une femme pourtant pas « socialo » les difficultés quotidiennes vécues par les membres de la classe ouvrière. La version détournée exploite la même thématique que sa source, mais en l’adaptant à la réalité spécifique de la prison en mettant de l’avant la lassitude des contraintes et de la carence de tout en évoquant la faim, le froid, la peur et le manque de sommeil. Abrégée, la variante notée par Oddon ne reprend que le refrain (qui comporte deux strophes de texte dans la chanson d’origine).
Notons par ailleurs qu’une autre version détournée du refrain de J’en ai marre a circulé sur les ondes de la BBC dans le cadre de l’émission Les Français parlent aux Français : intitulée Complainte d’une occupée et diffusée le 19 décembre 1940, cette version signée par l’auteur et illustrateur Maurice Van Moppès raconte les frustrations de l’Occupation du point de vue d’une femme qui souffre de voir toutes les ressources accaparées par les « Fridolins ». Ce recoupement entre les sources des chansons parodiques de Radio-Londres et celles du groupe de résistantes emprisonnées laisse à penser qu’au moins une des femmes autour d’Yvonne Oddon était, avant l’arrestation, une auditrice de cette émission – ce qui multiplie les références résistantes de leurs activités créatives.
L’enregistrement proposé ici est l’original de Mistinguett accompagnée par l’orchestre afro-américain Louis Mitchell’s Jazz Kings. Sous la conduite du batteur Louis Mitchell, pionnier du jazz, ce band était en résidence au Casino de Paris de 1917 à 1922, où se produisait également Mistinguett et où la chanson J’en ai marre a été enregistrée par Pathé.
[Sources : références 1, 2, 22, 36, 46, 76, 100, 123, 124 dans la bibliographie]
J’en ai marre
(1921)
De tout l’temps me tair’ j’en ai plein l’dos
Il faut qu’ça sorte
J’suis lass’ d’encaisser sans dire un mot
Tout c’que j’supporte
Je sais bien
Qu’c’est idiot de me r’biffer
J’en conviens
C’est pas ça qui m’f’ra bouffer
Ça n’fait rien
Je sens qu’ça finit par m’étouffer
J’ai fait tout c’que j’ai pu
À la fin j’en peux plus :
Toujours au turbin
Du soir au matin,
Moi j’en ai marre
De toujours manger
D’la vache enragé[e]
Moi j’en ai marre
Se dir’ faut qu’ma peine
J’la traîne fourbu’
Jusqu’à c’que je crève
Sans rêve, sans but
N’avoir pour toilett’s
Que cell’s que l’on jett’
Moi j’en ai marre
N’avoir pour croqu’nots
Que ceux qui pren’nt l’eau
Moi j’en ai marre
Si c’est ça la vie
Eh bien, je vous l’déclare
Sans êtr’ socialo,
C’est pas rigolo
Et moi j’en ai marre
Ne croyez surtout pas que j’envie
Ceuss’ qui sont riches
Les autos, les bijoux, la grand’ vie
Moi je m’en fiche
Mais enfin
Tout est bien mal balancé
Et l’destin
À quoi donc qu’il a pensé
Quand certains
En ont tant et d’autres pas assez?
Au fond c’est ça qui fait
Qu’parfois on d’vient mauvais :
Toujours au turbin
Du soir au matin,
Moi j’en ai marre
Vivre nuit et jour sans un mot d’amour
Moi j’en ai marre
En fait de tendresses,
D’caresses,
J’n’ai rien
Que cell’s que si bonnes
Me donne mon chien
Recevoir des beign’s
Sans qu’personn’ me plaign’,
Moi j’en ai marre
Voir quand on m’approch’
Que les gens m’trouv’nt moche
Moi j’en ai marre
Si c’est ça la vie
Eh bien, je vous l’déclare
Sans êtr’ socialo,
C’est pas rigolo
Et moi j’en ai marre
Moi j’en ai marre
(ms p. 2)
Toujours sur mon lit
Le jour et la nuit
Moi j’en ai marre,
N’avoir pour beefsteak
Qu’un morceau d’pain sec
Moi j’en ai marre,
Avoir les pieds froids
L’estomac rétréci
Ce sont là les charmes
Du Cherche-Midi !
Le cœur tout peureux
D’écouter « 22 »
Moi j’en ai marre,
Au lieu de dormir
Pousser des soupirs
Moi j’en ai marre,
Si c’est ça la vie
Eh bien je vous l’déclare
C’est un lieu maudit
Qu’le Cherche-Midi
Et moi j’en ai ma – a – [r]re !