Géo Koger et Vincent Telly (paroles), Vincent Scotto (musique), Prosper... (Yop La Boum!), fox-trot, partition pour chant seul, Paris, Salabert, E.A.S. 10362bis, 1935.
Géo Koger et Vincent Telly (paroles), Vincent Scotto (musique), Prosper (Yop La Boum), Maurice Chevalier (chant), orchestre M. Jo Bouillon, 1 disque 78 tours, Gramophone, K-7588, 1935.
1942, prison d’Anrath
Cette chanson s’inspire du tube Prosper… (Yop la boum!) (paroles de Géo Koger et Vincent Telly, musique de Vincent Scotto) popularisé par le chanteur français Maurice Chevalier en 1935. Ce « fox trot chanté » fut un « grand succès de la Revue du Casino de Paris présentée par Henri Varna “Parade du monde” », comme l’indique la partition publiée par Salabert la même année. Prosper, proxénète parisien à la « bell’ gueul d’affranchi » et sans état d’âme, y est décrit avec complaisance et dans un esprit potache bien rendu par l’interprétation de Chevalier (voix traînante et parlée sur les onomatopées « Yop la Boum! »). Le choix de cette chanson source est d’autant plus intéressant que la posture de Maurice Chevalier pendant l’Occupation était complexe; à la Libération, sa réputation a été entachée par ses revirements politiques pendant la Guerre, et notamment par une tournée remarquée en Allemagne en 1942.
La version détournée par Oddon et ses camarades s’appuie sur un premier avatar de cette chanson : Hitler, Yop la boum, simple refrain écrit par l’auteur et dessinateur français Maurice Van Moppès parti rejoindre Charles de Gaulle à Londres au début de la guerre et intervenant dans l’émission de la BBC Les Français parlent aux Français. Van Moppès exploite la proximité phonétique entre « Prosper » et « Hitler » pour produire un extrait musical hautement satirique sur le dictateur nazi. Le refrain (quatre vers seulement) est diffusé sur les ondes de la BBC le 17 décembre 1941 et la partition paraît dans un petit recueil de Chansons de la BBC parachuté en France par la Royal Air Force vers 1943, puis formellement publiée en 1944 (« Hitler, et Yop la boum/ V’là ton prestig’ qui s’entame / Hitler, et Yop la boum / Tu vas t’fout’ sur l’macadam! »). Les résistantes qui entouraient Yvonne Oddon ont donc pu avoir connaissance de ce refrain détourné avant leur arrestation.
Dans la version notée par Oddon, le refrain reprend presque textuellement l’efficace formule de Van Moppès : « Hitler, Yop la boum ». La chanson source demeure par ailleurs très présente dans leur propre version (beaucoup plus développée que celle de Van Moppès), qui en reprend aussi bien la structure que le thème dominant. Hitler y apparaît comme le proxénète d’une Europe pillée et d’une population « séquestrée » grâce à l’aide de collaborateurs qualifiés de « salauds » et de « traîtres ». La fin de la chanson annonce également la déroute du Führer : « nous attendons [...] qu’on te fasse ton affaire / Yop la boum / Hitler », chantent les prisonnières.
Le tapuscrit d’Oddon indique que la chanson a vu le jour à la prison d’Anrath en 1942. Dans ce contexte, les quatre points entre parenthèses ajoutés en marge du passage évoquant l’heure « qui n’est plus très loin sans doute » de la défaite nazie et de l’épuration des collaborateurs est vraisemblablement une référence (ajoutée après coup avec autodérision) au fait que la victoire des Alliés s’est au contraire longtemps fait attendre pour les résistantes.
[Sources : références 36, 61, 64, 78, 123, 124 dans la bibliographie]
Prosper (Yop la boum!)
(1935)
Quand on voit passer l’grand Prosper sur la plac’ Pigalle,
Avec son beau p’tit chapeau vert et sa martingale
D’vant son air malabar
Et sa démarche en canard
Pas b’soin d’êtr’ bachelier
Pour deviner son métier.
Refrain
Prosper Yop la boum! C’est le chéri de ces dames
Prosper Yop la boum c’est le roi du macadam’…e
Comme il a toujours la flemm’
Il n’fait jamais rien lui-mêm’
Il a son harem
Qui de Clichy à Barbès
Le jour et la nuit sans cess’
Fait son p’tit biz’ness
Et l’soir tous les soirs
Dans un coin d’ombre propice
Faut l’voir faut bien l’voir
Encaisser les bénéfices
Il ramasse les billets
Et leur laisse la monnaie
Ah! quel sacrifice
En somm’ c’est leur manager
Yop la boum! Prosper.
2
Avec sa bell’ gueul’ d’affranchi là-haut sur la butte,
Toutes les poul’s sont foll’s de lui et se le disputent.
Y en a qui s’flanquent des gnons,
Et qui se crêp’nt le chignon,
Pendant c’temps, voyez-vous
Tranquill’ment il compt’ les coups.
Refrain
Prosper Yop la boum! C’est le chéri de ses dames,
Prosper Yop la boum c’est le roi du macadam’…e
Quand un’ femm’ se fait poisser
Par les roussins du quartier,
Pour s’ravitailler,
Il s’en va immédiatement
Faire son réassortiment
Dans l’arrondissement.
Des fois, oui des fois,
Quand ell’s n’sont pas à la page,
Voulant fermement
Faire leur apprentissage,
Il les envoie en saison
Dans un’ vill’ de garnison faire un petit stage.
C’est un garçon qu’a du flair! Yop la boum! Prosper.
Hitler
(ms p. 8)
Quand on voyait Adolf Hitler et sa g[u]eul’ de vache
Avec sa mèch’ de travers et sa p’tite moustache
Sa voix d’fou, l’air idiot
Qu’il prenait à la radio
Fallait pas êtr’ fakir
Pour deviner ses désirs :
[Refrain]
Hitler, Yop la boum, quand tes soldats sur les routes
Tiraient, Yop la boum sur nos civils en déroute.
Quand, après ceux des voisins
Ils pillaient nos magasins
Pour s’fair’ du butin,
Nous disant : « ce qui vous suce
Ça doit être le blocus
Ou bien c’est les Russes »,
Il fallait les voir
Payer en monnaie de singe
Du matin au soir
La boustifaille et le linge :
Car c’est la loi du « milieu »
Les gars qu’ont plus rien chez eux
S’cassent pas les méninges
Comme toi, roi des gangsters
Yop la boum, Hitler!
[2]
Quand on voyait Adolf Hitler agitant ses armes
Peupler d’uniformes verts l’Europe en alarmes,
Séquestrer en prison
Femmes, vieillards, nourrissons,
Fallait être un bandit
Pour s’allier avec lui :
[Refrain]
Hitler, Yop la boum, pour entrer chez nous en maître
Fallut pour t’aider tous les salauds et les traîtres,
Quand tu voulus à tout prix
Que notre pauvre Paris
Devienne Nazi
Nous vîmes avec horreur
Tous les collaborateurs
Se couvrir d’honneurs
Oui mais, un beau soir
Qui n’est plus très loin sans doute (…..)
On pourra les voir
Tous ces gens qui nous dégo[û]tent
À notre place dans les prisons
Où maint’nant nous attendons qu’avec la déroute
On te fasse ton affaire, Yop la boum, Hitler!