Sur l’air de la liberté, Chansons de résistantes dans les prisons nazies

19. L’autre jour, dans notre atelier

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19. L’autre jour, dans notre atelier

Chanson originale Chanson détournée
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Partition


« L’autre jour m’allant promener [Walking Alone the Other Day] », partition pour voix et piano, dans Gertrude Rutherford et Ella Ivimey, 9 French Songs of the 17th & 18th Centuries, Londres, Augener Ltd., 1934, p. 10-12. Reproduit avec l’autorisation de Stainer & Bell Ltd, London, UK, www.stainer.co.uk.

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Disque


L’autre jour en m’allant me promener, Archives de la parole, 1 disque 78 tours, Pathé, AP1240, 1929. Enregistrement conservé à la Bibliothèque nationale de France.

macaron du disque

1944, prison de Cottbus

Cette chanson reprend une mélodie ancienne, utilisée comme timbre – c’est-à-dire en tant qu’air préexistant auquel on adjoint de nouvelles paroles – depuis au moins le début du XVIIIe siècle, comme en témoigne son inclusion dans La clef des chansonniers (1717) de Jean-Baptiste-Christophe Ballard, longtemps imprimeur de musique sous Louis XIV. On retrouve cette mélodie, toujours avec des textes différents, dans plusieurs parodies d’opéras présentées à la Comédie-Italienne au cours du XVIIIe siècle (par exemple Arlequin Persée de Louis Fuzelier, 1722; Arlequin Atys de Claude Florimond Boizard de Pontau, 1726; Les ensorcelés de Justine Favart, Jean-Nicolas Guérin de Frémincourt et Harny de Guerville, 1757), ainsi que dans d’autres chansons de tradition orale comme Moi qui suis si jolie et Vous chiffonnez mon bavolet. Le texte original, consigné dans La clef des chansonniers, évoque un berger qui quémande un baiser à sa belle tout en se lamentant du fait que « [s]on mal ne vient que d’aimer ». 

Ce texte est légèrement modifié dans la partition reproduite ici, qui est la seule édition parue dans les années 1930 que nous ayons pu retracer (la grande majorité des publications de L’autre jour m’allant promener étant antérieures au XIXe siècle). Dans cette version issue d’un recueil britannique de 1934, l’ajout d’un deuxième couplet donne voix à la bergère à laquelle s’adresse le berger, introduisant une agentivité féminine qui n’est pas du tout présente dans la version consignée par Ballard en 1717 – ni d’ailleurs dans l’enregistrement documenté ici. 

Ce dernier témoigne par ailleurs de l’importante circulation orale de la chanson en France, bien au-delà du XVIIIe siècle. Collecté par Hubert Pernot pour les Archives de la parole (un institut de la Sorbonne fondé en 1911 par Ferdinand Bunot), il est interprété par une de ses collaboratrices fréquentes, Suzanne Beaumont. Le macaron du disque ne mentionne que le titre de la première chanson de la face, d’où l’apparente discrépance entre la source sonore et l’image qui l’accompagne. 

Qualifiée de « petite “complainte” », la version détournée par Oddon et ses camarades évoque le refus de travailler pour les nazis, une position essentielle pour les résistantes. Cette thématique prend une importance toute particulière dans la prison de Cottbus, car comme l’écrit Oddon dans le texte d’une conférence prononcée le 28 juin 1945 au Muséum national d’histoire naturelle à Paris, « lorsqu’en automne 1944 les SS [y] firent installer une usine de masques à gaz […], les prisonnières politiques françaises et belges refusèrent d’y travailler et furent envoyées à Ravensbrück ». Dans la chanson notée par Oddon avant ce funeste transfert, le refrain original « Ah, mon mal ne vient que d’aimer, Et vous ne m’aimez guère » est transformé et attribué à un geôlier qui souligne le manque de coopération des prisonnières : « Votre sort est de travailler : vous ne travaillez guère! ». Le gardien endosse ainsi le rôle du berger qui se plaint non plus d’un cœur rebelle, mais de prisonnières récalcitrantes. La seconde strophe exprime l’attente de la victoire tant espérée : « Car vous aurez beau travailler, Il [Hitler] a perdu la guerre… ». 

[Sources : références 10, 15, 28, 29, 50, 53, 65, 86, 88, 117 dans la bibliographie]

Transcription comparée

L’autre jour, m’allant promener

(tradition orale)

 

 

L’autre jour, m’allant promener,

(Ah, mon mal ne vient que d’aimer!)

J’entendis la voix d’un berger,

Disant à sa bergère :

« Ah, mon mal ne vient que d’aimer,

Et vous ne m’aimez guère! »

 

La bergère lui répondit :

« Ah, berger, je meurs de dépit!

Hélas, si je vous a[v]ais dit

Ce que m’a dit ma mère!

(Ah, berger, je meurs de dépit!)

Je n’oserais rien faire! »

 

« Oserais-je vous demander,

(Ah, mon mal ne vient que d’aimer!)

De votre bouche un doux baiser?

La faveur est légère!

Ah, mon mal ne vient que d’aimer,

Et vous ne m’aimez guère! »

L’autre jour, dans notre atelier

[chanson sans titre]

(ms p. 14)

 

L’autre jour, dans notre atelier,

(Notre sort est de travailler)

J’entendis la voix d’un ge[ô]lier

Qui disait : prisonnières,

Votre sort est de travailler :

Vous ne travaillez guère!

 

 

 

 

 

 

 

 

Il faut bien vous persuader

Votre sort est de travailler…

Que le Grand Reich est épuisé,

Hitler se désespère,

Car vous aurez beau travailler

Il a perdu la guerre…

Manuscrit


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Recréation


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