Née dans une famille protestante du sud-est de la France, Yvonne Oddon était une bibliothécaire visionnaire, formée d’abord à l’École américaine de bibliothécaires à Paris, puis aux États-Unis. De retour à Paris, elle est chargée en 1929 de réorganiser la Bibliothèque du Musée d’ethnographie du Trocadéro, devenu en 1938 le Musée de l’Homme. C’est là qu’elle travaille lorsque l’armée allemande envahit Paris en juin 1940; avec ses collègues, elle choisit de rester en poste malgré l’exode, habitant même sur place pour protéger les collections.
Très vite, Oddon fonde – avec le linguiste Boris Vildé et l’anthropologue Anatole Lewitsky – l’un des premiers groupes de résistance parisiens, appelé plus tard « réseau du Musée de l’Homme ». En plus de faire circuler des informations militaires et de favoriser des évasions de prisonniers, elle apporte une contribution essentielle au journal clandestin Résistance, dont elle propose le titre en référence à Marie Durand, prisonnière huguenote du XVIIIe siècle dont elle partageait la foi, et à qui l’on attribue l’inscription « Résister » dans la pierre de la Tour de Constance où elle a été enfermée pendant 38 ans.
Arrêtée le 10 février 1941, Oddon est condamnée à mort un an plus tard en même temps que neuf autres personnes du réseau du Musée de l’Homme, parmi lesquelles son fiancé, Anatole Lewitsky. Contrairement à celle des hommes, sa peine est cependant commuée en travaux forcés; à son année de détention dans trois prisons françaises (Cherche-Midi, La Santé, Fresnes) succèdent ainsi plus de trois ans de déportation dans quatre prisons allemandes (Karlsruhe, Anrath, Lübeck, Cottbus) et deux camps de concentration nazis (Ravensbrück et Mauthausen, d’où elle est libérée par la Croix-rouge internationale en avril 1945).
Dès son retour en France, Oddon se fait un devoir de témoigner de ce qu’elle a vécu. En plus de prononcer des conférences et de consigner par écrit ses souvenirs de résistance, elle se joint au conseil d’administration de l’Association nationale des anciennes déportées et internées de la Résistance (ADIR), un réseau de soutien matériel et moral essentiel pour ces femmes qui revenaient de l’horreur dans le dénuement le plus total. C’est dans le cadre des activités de l’ADIR qu’Oddon a transcrit les chansons documentées ici, à la demande de « nombreuses camarades » qui, comme elle l’écrit sur la page de titre, souhaitaient « que soit constitué un petit recueil de [leurs] chansons de prisonnières ». Après la guerre, Oddon a repris la direction de la bibliothèque du Musée de l’Homme, tout en participant à des missions pour l’Unesco; elle a été nommée commandeur de la Légion d’honneur en 1981.